Monday, June 30, 2008

LOUIS ARAGON (1897-1982)


VERS À DANSER

Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble
C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon coeur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble


IL N’Y A PAS D’AMOUR HEREUX

Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux

Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux

Mais c'est notre amour à tous les deux


PUR JEUDI

Rues, campagnes, où courais-je ? Les glaces me chassaient aux tournants vers d’autres mares.
Les boulevards verts ! Jadis, j’admirais sans baisser les paupières, mais le soleil n’est plus un hortensia.
La victoria joue au char symbolique : Flore et cette fille aux lèvres pâles. Trop de luxe pour une prairie sans prétention :
aux pavois, les drapeaux ! toutes les amantes seront aux fenêtres. En mon honneur ? Vous vous trompez.
Le jour me pénètre. Que me veulent les miroirs blancs et ces femmes croisées ? Mensonge ou jeu ? Mon sang n’a pas cette couleur.
Sur le bitume flambant de Mars, ô perce-neiges ! tout le monde a compris mon cœur.
J’ai eu honte, j’ai eu honte, oh !


SOIFS DE L’OUEST

Dans ce bar dont la porte
sans cesse bat au vent
une affiche écarlate
vante un autre savon
Dansez dansez ma chère
nous avons des banjos

Oh
qui me donnera seulement à mâcher
les chewing-gums inutiles
qui parfument très doucement
l’haleine des filles des villes

Epices dans l’alcool mesuré par les pailles
et menthes sans raison barbouillant les liqueurs
il est des amours sans douceurs
dans les docks sans poissons où la barmaid
défaille

sous le fallacieux prétexte
que je n’ai pas rasé ma barbe
aux relents douteux d’un gin
que son odorat devine
d’un bar du Massachussets

Au trente-troisième étage
sous l’œil des fenêtres
arrête

Mon cœur est dans le ciel et manque de vertu

Mais les ascenseurs se suivent
et ne se ressemblent pas
Le groom nègre sourit tout bas
pour ne pas salir ses dents blanches

Ha si j’avais mon revolver
pour interrompre la musique
de la chanson polyphonique
des cent machines à écrire

Dans l’état de Michigan
justement quatre-vingt-trois jours
après la mort de quelqu’un
trois joyeux garçons de velours
dansèrent entre eux un quadrille

avec le défunt

comme font avec les filles
les gens de la vieille Europe
dans les quartiers mal famés
Heureusement que leurs lèvres
ignoraient les mots méchants
car tous les trois étaient vierges
comme on ne l’est pas longtemps


CHAMBRE GARNIE

À l’hôtel de l’Univers et de l’Aveyron
le Métropolitain passe par la fenêtre
La fille aux-yeux-de-sol m’y rejoindra peut-être
Mon cœur
que lui dirons-nous quand nous la verrons

Compte les fleurs ma chère
compte les fleurs du mur
Mon cœur est en jachères
Attention
L’escalier est peu sûr

Que n’es-tu la vachère
qui mène les amants en Mésopotamie


CHARLOT MYSTIQUE

L’ascenseur descendait toujours à perdre haleine
et l’escalier montait toujours
Cette dame n’entend pas les discours
elle est postiche
Moi qui songeais à lui parler d’amour
Oh le commis
si comique avec sa moustache et ses sourcils artificiels
Il a crié quand je les ai tirés
Étrange
Qu’ai-je vu Cette noble étrangère
Monsieur je ne suis pas une femme légère
Hou la laide
Par bonheur nous
avons des valises en peau de porc

à toute épreuve
Celle-ci
Vingt dollars
Elle en contient mille
C’est toujours le même système
Pas de mesure
ni de logique
mauvais theme


FUGUE

Une joie éclate en trois
temps mesuré de la lyre
Une joie éclate au bois
que je ne saurais pas dire
Tournez têtes Tournez rires
pour l’amour de qui
pour l’amour de quoi

pour l’amour de moi


ACROBATE

Bras en sang Gai comme les sainfoins
L’hyperbole retombe Les mains

Les oiseaux sont des nombres
L’algèbre est dans les arbres
C’est Rousseau qui peignit sur la portée du ciel
cette musique à vocalises

Cent A Cent pour la vie

Qui tatoue

Je fais la roue sur les remparts


ÉCLAIRAGE À PERTE DE VUE

Je tiens ce nuage or et mauve au bout d'un jonc
l'ombrelle ou l'oiselle ou la fleur
La chevelure
descend des cendres du soleil se décolore
entre mes doigts
Le jour est gorge-de-pigeon
Vite un miroir Participé-je à ce mirage
Si le parasol change en paradis le sol
jouons
à l'ange
à la mésange
au passereau
Mais elles qui vaincraient les grêles et l'orage
mes ailes oublieront les bras et les travaux
Plus léger que l'argent de l'air où je me love
je file au ras des rets et m'évade du rêve

La Nature se plie et sait ce que je vaux


PARTI-PRIS

Je danse au milieu des miracles
Mille soleils peints sur le sol
Mille amis Mille yeux ou monocles
m’illuminent de leurs regards
Pleurs du pétrole sur la route
Sang perdu depuis les hangars
Je saute ainsi d'un jour à l'autre
rond polychrome et plus joli
qu’un paillasson de tir ou l’âtre
quand la flamme est couleur du vent
Vie ô paisible automobile
et le joyeux péril de courir au devant

Je brûlerai du feu des phares.



LES POÈTES.

SHAKESPEARE.
À lui la baguette magique
Le pouvoir de tout enchaîner ;
Il riva la Nature aux plis de sa tunique,
Et la Création a su le couronner.


MILTON.
Son esprit était un pactole
Dont les flots roulaient de l’or pur,
Un temple à la vertu dont la vaste coupole
Se perdait dans les cieux au milieu de l’azur.


THOMPSON.
Après le jour la nuit obscure,
Après les saisons les saisons,
Ses chants qui sont gravés au sein de la nature
Iront de l’avenir dorer les horizons.


GRAY.
D’un vol grandiose il s’élève,
La foudre il la brave de l’œil,
Le nuage orageux il le passe, puis s’enlève
Lumineuse trainée au sein de son orgueil.


BURNS.
De la lyre de sa patrie
Il fit vibrer les plus doux sons,
Et son âme de feu, céleste rêverie
Se fondit dans des flots d’admirables chansons.


SOUTHEY.
Où règne la nécromancie
Dans les pays orientaux,
Il aimait promener sa riche fantaisie,
Son esprit à cheval sur les vieux fabliaux.

COLERIDGE.
Par le charme de sa magie
Au clair de la lune le soir
Il évoquait le preux, et du preux la vigie,
La superstition, hôte du vieux manoir.


WORDSWORTH.
Au livre de philosophie
Il suspendit sa harpe un jour,
Là, placé près des lacs, il chante, il magnifie
Dans ses paisibles vers la nature et l’amour.


CAMPBELL.
Enfant gâté de la nature
L’art polit son vers enchanteur,
Il sut pincer sa lyre et gracieuse et pure,
Pour amuser l’esprit, et réchauffer le cœur.


SCOTT.
Il chante, et voyez ! jà s’élance
Le Roman que l’on croyait mort,
Et la Chevalerie et la Dague et la Lance,
Sortent de l’Arsenal poussés par son ressort !


WILSON.
Son chant comme une hymne sacrée
S’infiltre de l’oreille au cœur ;
On croirait qu’il vous vient de la voûte éthérée
La voix d’un chérubin, d’un saint enfant de chœur.


HEMANS.
Elle ouvre la source des larmes
Et les fait doucement couler,
La pitié dans ses vers elle a les plus doux charmes
Et le lecteur ému s’y laisse affrioler.


SHELLEY.
Un rocher nu, bien solitaire
Au loin par de là l’océan,
Crévassé par le choc des volcans, du tonnerre,
Voilà quel fut Shelley, l’audacieux Titan !


HOGG.
Vêtu d’un rayon de lumière
Qu’il sut voler à l’arc-en-ciel,
Il voit fée et lutin danser dans la clairière,
Et faire le sabbat loin de tout œil mortel.


BYRON.
La tête ceinte de nuages,
Ses pieds étaient jonchés de fleurs,
L’ivresse et la gaité, le calme et les orages
Trouvent en ses beaux vers un écho dans les cœurs.


MOORE.
Couronné de vertes louanges
Et pour chaque œuvre tour à tour,
Moore dans les bosquets se plait avec les anges
À chanter les plaisirs de son Dieu… de l’Amour !


JE DIRAI LA MESSE D’ELSA

Je dirai la messe d'Elsa sur les marches du soir profond
Quand les oiseaux quittent le ciel où la fin du jour se confond
Comme un acteur qui ne sait pas retrouver les mots de son rôle
Du jardin sombre à ma narine ô le parfum coupé des buis
À peine entend-on sur les toits le piano lointain des pluies
Et la chasuble de la nuit se prépare pour mes épaules.

Je dirai la messe d'Elsa quand vous serez tous à genoux
Comme l'enfant près de son lit dont l'âme tout bas se dénoue
Je dirai la messe d'Elsa pour le pardon de ce que je l'aime
Avec les mots tombés du nid avec les mots des jours qu'il pleut
Avec les mots amers et doux comme cette vie à nous deux
Avec les mots du temps perdu ceux du phantasme et du blasphème.

Je dirai la messe d'Elsa pour couvrir le parler des loups
Je dirai la messe d'Elsa mes paumes ouvertes aux clous
Je dirai la messe d'Elsa sous le soleil noir des tortures
Je dirai la messe d'Elsa quand on me roulerait d'orties
Je dirai la messe d'Elsa tant que l'âme m'en soit sortie
Et qu'il m'en éclate le coeur et le corps m'en soit pourriture.

Je dirai la messe d'Elsa sans yeux sans mains les dents brisées
Je dirai la messe d'Elsa d'entre les lèvres sans baisers
Que fait à l'homme cet hiver jusqu'à mourir de son vieil âge
Je dirai la messe d'Elsa dans la raison de ma folie
Dans la mémoire de l'oubli jusqu'en mes liens si l'on me lie
Jusqu'à la terre dans ma bouche où s'achève enfin le voyage.


LES MAINS D’ELSA

Donne-moi tes mains pour l'inquiétude
Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé
Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude
Donne-moi te mains que je sois sauvé
Lorsque je les prends à mon pauvre piège
De paume et de peur de hâte et d'émoi
Lorsque je les prends comme une eau de neige
Qui fond de partout dans mes main à moi
Sauras-tu jamais ce qui me traverse
Ce qui me bouleverse et qui m'envahit
Sauras-tu jamais ce qui me transperce
Ce que j'ai trahi quand j'ai tresailli
Ce que dit ainsi le profond langage
Ce parler muet de sens animaux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots
Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent
D'une proie entre eux un instant tenue
Sauras-tu jamais ce que leur silence
Un éclair aura connu d'inconnu
Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme
S'y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement


LES YEUX D’ELSA

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir s'y mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés,
Tes yeux sont si profonds que j'y perd la mémoire.

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure.

Une bouche suffit au mois de Mai, des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les " hélas ! "
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux.

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août.

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
O paradis cent fois retrouvé, reperdu,
Tes yeux sont mon Pérou, ma Colconde, mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que des naufrageurs enflammèrent,
Moi, je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa... les yeux d'Elsa... les yeux d'Elsa ...


LES RENDEZ-VOUS


1

Tu m'as quitté par toutes les portes
Tu m'as laissé dans tous les déserts
Je t'ai cherchée à l'aube et je t'ai perdue à midi
Tu n'étais nulle part où j'arrive
Qui saurait dire le Sahara d'une chambre sans toi
La foule d'un dimanche où rien ne te ressemble
Un jour plus vide que vers la mer la jetée
Le silence où j'appelle et tu ne réponds pas
Tu m'as quitté présente immobile
Tu m'as quitté partout tu m'as quitté des yeux
Du coeur des songes
Tu m'as quitté comme une phrase inachevée
Un objet par hasard une chose une chaise
Une villégiature à la fin de l'été
Une carte-postale dans un tiroir
Je suis tombé de toi toute la vie au moindre geste
Tu ne m'as jamais vu pleurer pour ta tête détournée
Ton regard au diable de moi
Un soupir dont j'étais absent
As-tu jamais eu pitié de ton ombre à tes pieds.


2

Je ne t'ai jamais trouvée aussi belle qu'à l'heure où tu désespères de toi
L'émail m'éclate à l'oeil de cette clarté sur ma vie à l'approche de ton visage
Les mots sont en miettes de te voir les rimes meurent au moindre geste que tu fais
Être à ton souffle est suspendu vivre à ta voix Je ne suis que la peur de ton silence
Il me faut prendre à te parler des chemins fous pour te surprendre au coeur des rêveries
Et je te donne dans les mots des rendez-vous où tu ne viens pas une fois sur mille
Mais la millième la millième.


3

Je ne sais plus où donner de la tête
Je ne sais plus de quoi te protéger
Ô mon amour à qui tout est tempête
Tout est danger.

Ô mon amour qu'en vain d'autrui je garde
Chaque parole est piège à mes tourments
Les choses tues me font l'âme hagarde
À tout moment.

J'ai peur du vent de l'ombre et la lumière
J'ai peur en moi d'un enfer mal dompté
Vivre est toujours cette terreur première
Du vivre ôté.

Je vois le mur et j'entends la truelle
C'est dans mon coeur que le temps est creusé
Ô toi qui tiens dans ta bouche cruelle
L'instant brisé.

Viens je t'attends mon bourreau sans visage
Depuis longtemps tout bas je t'appelais
Ainsi pourquoi faire durer l'ouvrage
Fouiller ma plaie.


4

Tout ce que je ne puis à haute voix te dire
Ce blé secret dans moi qui se flétrit montré
Ma parole n'est qu'une excuse à l'impudeur de l'âme
Un masque où le regard trahit seul sa profonde contrée.

Même un baiser fût-il une flamme à la Pentecôte
Même la violence et le lit dévasté
Tout ce qu'un son résume est trahison de la bouche
Un pan d'étoffe sur le visage inavouable de l'amour.

Je me souviens de toi comme un palais qui parcourt ses propres chambres
Quelque part dans la montagne au dessus d'Aix-les-Bains
Ou le bateau qui nous emporte en Amérique
Ou le parfum des roses piétinées
Quand nous sommes revenus après le départ des soldats
Je me souviens de toi comme d'une chose interdite
Comme le voleur d'avoir pris
Ô mon amour ô mon crime.

Et même à toi je cacherai combien je t'aime
Tu ne supporterais pas ce feu dont je brûle sans fin
Déjà le peu de dire est trop j'en tremble j'imagine
Ainsi chaque pas inventé dans l'espace inventé pour les hommes périsélènes
Ou comme un cheval dans sa course pris de la male-faim le meurtrier qui n'a plus de mots que pour le meurtre.

Oh je ne dirai pas je t'aime j'ai trop peur
Des flambures que cela laisse à l'homme intérieur
À son gosier.


5

Qui n'aime à douleur peut-on dire il aime
Laissez-moi t'aimer ce peu de moi-même
Ce reste du temps toujours contesté
Laissez-moi t'aimer ce rien que je dure
Et cesse durer par même aventure
Que se meurt le chant pour être chanté.

J'aime à contre-temps d'une amour qui semble
Un déchirement sans fin d'être ensemble
Et ne l'être plus un déchirement
Sans fin de savoir où cela nous mène
Et la fin pourtant dans mes mains humaines
De ce coeur qui bat inhumainement.

Dieu que chaque nuit me rend dérisoire
Un peu plus ce coeur et sa longue histoire
Et fait chaque jour un peu plus affreux
Cette amour en moi qu'à mourir je porte
Et qui me meurtrit d'un jour être morte
D'un jour être cendre est malheur du feu.


6

Et ce n'est point aimer que n'aimer à douleur
Cette main que je tiens encore elle s'enfuit
Tout le bonheur du jour n'annonce que la nuit
J'aurai passé comme un voleur.

Voleur de moi le coeur me bat mes pas m'effraient
Le temps entre mes doigts n'est qu'un dieu périssable
Et le sang qui m'habite a la couleur du sable
Ma mort est écrite à la craie.

Pauvre cheval en plein labour hanté des femmes
Pauvre cheval jamais rassasié du foin d'aimer.


7

Une fois c'était la guerre il n'y avait
Qu'un souffle pâle et des pas lourds il n'y avait
Qu'un monde inverse et des bras vides
Il n'y avait qu'un soleil séparé d'un coup de sabre
Ô visage blessé
Et les papiers collés des vitres
Une fois c'était la guerre et le désert des Tuileries
Un temps nu de poussière et de soupcons.

T'en souviens-tu rue de la Paix
Nous avions choisi ce bar aux rideaux plissés pour une improbable rencontre
J'y penserai plus tard quand tout semblera perdu
Nous n'y sommes jamais entrés par la suite
Le temps de nous rejoindre et j'avais les cheveux blancs
La vie est pleine ainsi de portes battantes
De projets sans toiture et de marches manquées.

Il me semble aussi que quelque chose à la craie
Indiquait au plafond d'où viendrait la lumière
C'était un appartement que nous n'avons pas loué
Dans une petite rue étroite rive gauche.

Et nous ne sommes pas allés ensemble à Grenade
Je n'étais pas avec toi dans les îles du corail
Et tous les films à la dernière minute qu'on renonce à voir
Je t'ai attendue à tous les coins de vie
Rendez-vous rendez-vous manqués
Combien de fois suis-je sorti dans l'escalier
Pour te voir qui fait halte entre les deux étages
Or ce n'était pas toi.

Regarde ce grand chapelet d'amertumes
Où je dis mon chemin de croix
Un taxi s'est arrêté devant la porte
Il en est sorti dans la nuit un monsieur qui ne te ressemblait pas.

Je suis mort tant de fois de t'attendre
Et tu n'en as jamais pleuré.

Bien plus tard bien plus tard l'avion qui t'apporte
Mystérieusement fait demi-tour dans le ciel du Bourget
Je t'ai d'en bas regardé fuir vers Amsterdam
Mais simplement chaque soir lorsque tu fermes les yeux
Et qu'importe si ce n'est pas cette fois la Hollande
Je ne crois pas un mot des rêves racontés
C'est toujours la guerre pour moi quand tu t'éloignes
Ou si tu dors toujours la guerre écoute l'heure
Après l'heure sonner
Cigogne en l'air qui s'étonne
Pour s'être trompée de saison
Oh si tu savais seulement comme auprès de toi chaque nuit
J'ai chaque nuit appris ce qu'est la solitude.

L'existence après tout n'est qu'une nuit plus longue
Mais qui n'a point la fin d'une aube
Et même contre moi je sais bien que tu es dans la chambre à côté.

Cette fois cette fois n'est pas encore la millième.

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