Wednesday, March 12, 2008
FRANÇOIS COPPÉE (1842-1908)
L’EXILÉE
INVOCATION.
Enfant blonde aux doux yeux, ô rose de Norvége,
Qu'un jour j'ai rencontrée aux bords du bleu Léman,
Cygne pur émigré de ton climat de neige !
Je t'ai vue & je t'aime ainsi qu'en un roman,
Je t'aime & suis heureux comme si quelque fée
Venait de me toucher avec un talisman.
Quand tu parus, naïve & d'or vivant coiffée,
J'ai senti qu'un espoir sublime & surhumain
Soudain m'enveloppait de sa chaude bouffée.
Voyageur, je devais partir le lendemain ;
Mais tu m'as pris mon coeur sans pouvoir me le rendre,
Alors que pour l'adieu je t'ai touché la main.
A ce dernier bonheur j'étais loin de m'attendre,
Et je me croyais mort à toutes les amours ;
Mais j'ai vu ton regard spirituel & tendre ;
Et tout m'a bien prouvé, dans les instants trop courts
Passés auprès de toi, blonde soeur d'Ophélie,
Que je pouvais aimer encore, & pour toujours.
Et je ne me dis pas que c'est une folie,
Que j'avais dix-sept ans le jour où tu naquis ;
Car le triste passé, je l'efface & l'oublie,
Et tu ne peux savoir à quel point c'est exquis !
LA MÉMOIRE.
Souvent, lorsque la main sur les yeux je médite,
Elle m'apparaît, svelte & la tête petite,
Avec ses blonds cheveux coupés courts sur le front.
Trouverai-je jamais des mots qui la peindront,
La chère vision que malgré moi j'ai fuie ?
Qu'est auprès de son teint la rose après la pluie ?
Peut-on comparer même au chant du bengali
Son exotique accent, si clair & si joli ?
Est-il une grenade entr'ouverte qui rende
L'incarnat de sa bouche adorablement grande ?
Oui, les astres sont purs, mais aucun, dans les cieux,
Aucun n'est éclatant & pur comme ses yeux ;
Et l'antilope errant sous le taillis humide
N'a pas ce long regard lumineux & timide.
Ah ! devant tant de grâce & de charme innocent,
Le poëte qui veut décrire est impuissant,
Mais l'amant peut du moins s'écrier : «Sois bénie,
O faculté sublime à l'égal du génie,
Mémoire, qui me rends son sourire & sa voix,
Et qui fais qu'exilé loin d'elle je la vois !»
RÉPONSE.
«Mais je l'ai vu si peu !» - disiez-vous l'autre jour.
Et moi, vous ai-je vue, en effet, davantage ?
En un moment mon coeur s'est donné sans partage.
Ne pouvez-vous ainsi m'aimer à votre tour ?
Pour monter d'un coup d'aile au sommet de la tour,
Pour emplir de clartés l'horizon noir d'orage
Et pour nous enchanter de son puissant mirage,
Quel temps faut-il à l'aigle, à l'éclair, à l'amour ?
Je vous ai vue à peine & vous m'êtes ravie ;
Mais à vous mériter je consacre ma vie
Et du sombre avenir j'accepte le défi.
Pour s'aimer faut-il donc tellement se connaître,
Puisque, pour allumer le feu qui me pénètre,
Chère âme, un seul regard de vos yeux a suffi ?
A UN ANGE GARDIEN.
Mon rêve, par l'amour redevenu chrétien,
T'évoque à ses côtés, ô doux ange gardien,
Divin & pur esprit, compagnon invisible
Qui veilles sur cette âme innocente & paisible !
N'est-ce pas, beau soldat des phalanges de Dieu,
Qui, pour la protéger, fais toujours, en tout lieu,
Sur l'adorable enfant planer ton ombre ailée,
Que ta chaste personne est moins immaculée,
Que ton regard, reflet des immenses azurs,
Et que le feu qui brille à ton front, sont moins purs,
Dans leur sublime essence au paradis conquise,
Que le coeur virginal de cette enfant exquise ?
O toi qui de la voir as toujours la douceur,
Bel ange, n'est-ce pas qu'elle est comme ta soeur ?
O céleste témoin qui fais que sa pensée
Par une humble prière au matin commencée
Dans ses rêves du soir est plus naïve encor,
N'est-ce pas qu'en voyant s'abaisser ses cils d'or
Sur ses yeux ingénus comme ceux des gazelles,
Tu t'étonnes parfois qu'elle n'ait pas des ailes ?
PITIÉ DES CHOSES.
La douleur aiguise les sens,
- Hélas ! ma mignonne est partie ! -
Et dans la nature je sens
Une secrète sympathie.
Je sens que les nids querelleurs
Par égard pour moi se contraignent,
Que je fais de la peine aux fleurs
Et que les étoiles me plaignent.
La fauvette semble en effet
De son chant joyeux avoir honte,
Le lys sait le mal qu'il me fait
Et l'étoile aussi s'en rend compte.
En eux j'entends, respire & vois
La chère absente, & je regrette
Ses yeux, son haleine & sa voix
Qui sont astres, lys & fauvette.
VIE ANTÉRIEURE.
S'il est vrai que ce monde est pour l'homme un exil
Où, ployant sous le faix du labeur dur & vil,
Il expie en pleurant sa vie antérieure ;
S'il est vrai que, dans une existence meilleure,
Parmi les astres d'or qui roulent dans l'azur,
Il a vécu, formé d'un élément plus pur,
Et qu'il garde un regret de sa splendeur première ;
Tu dois venir, enfant, de ce lieu de lumière
Auquel mon âme a dû naguère appartenir ;
Car tu m'en as rendu le vague souvenir,
Car en t'apercevant, blonde vierge ingénue,
J'ai frémi, comme si je t'avais reconnue,
Et, lorsque mon regard au fond du tien plongea,
J'ai senti que nous étions aimés déjà
Et depuis ce jour-là, saisi de nostalgie,
Mon rêve au firmament toujours se réfugie,
Voulant y découvrir notre pays natal,
Et dès que la nuit monte au ciel oriental,
Je cherche du regard dans la voûte lactée
L'étoile qui par nous fut jadis habitée.
CHANSON D'EXIL.
Triste exilé, qu'il te souvienne
Combien l'avenir était beau,
Quand sa main tremblait dans la tienne
Comme un oiseau,
Et combien ton âme était pleine
D'une bonne & douce chaleur,
Quand tu respirais son haleine
Comme une fleur.
Mais elle est loin, la chère idole,
Et tout s'assombrit de nouveau ;
Tu sais qu'un souvenir s'envole
Comme un oiseau ;
Déjà l'aile du doute plane
Sur ton âme où naît la douleur ;
Et tu sais qu'un amour se fane
Comme une fleur.
ESPOIR TIMIDE.
Chère âme, si l'on voit que vous plaignez tout bas
Le chagrin du poëte exilé qui vous aime,
On raillera ma peine & l'on vous dira même
Que l'amour fait souffrir, mais que l'on n'en meurt pas.
Ainsi qu'un mutilé qui survit aux combats,
L'amant désespéré qui s'en va, morne & blême,
Loin des hommes qu'il fuit & de Dieu qu'il blasphème,
N'aimerait-il pas mieux le calme du trépas ?
Chère enfant, qu'avant tout vos volontés soient faites !
Mais, comme on trouve un nid rempli d'oeufs de fauvettes,
Vous avez ramassé mon coeur sur le chemin.
Si de l'anéantir vous aviez le caprice,
Vous n'auriez qu'à fermer brusquement votre main,
- Mais vous ne voudrez pas, j'en suis sûr, qu'il périsse !
ROMANCE.
Quand vous me montrez une rose
Qui s'épanouit sous l'azur,
Pourquoi suis-je alors plus morose ?
Quand vous me montrez une rose,
C'est que je pense à son front pur.
Quand vous me montrez une étoile,
Pourquoi les pleurs, comme un brouillard,
Sur mes yeux jettent-ils leur voile ?
Quand vous me montrez une étoile,
C'est que je pense à son regard.
Quand vous me montrez l'hirondelle
Qui part jusqu'au prochain avril,
Pourquoi mon âme se meurt-elle ?
Quand vous me montrez l'hirondelle,
C'est que je pense à mon exil.
LETTRE.
Non, ce n'est pas en vous «un idéal» que j'aime,
C'est vous tout simplement, mon enfant, c'est vous-même.
Telle Dieu vous a faite, & telle je vous veux.
Et rien ne m'éblouit, ni l'or de vos cheveux,
Ni le feu sombre & doux de vos larges prunelles,
Bien que ma passion ait pris sa source en elles.
Comme moi, vous devez avoir plus d'un défaut ;
Pourtant c'est vous que j'aime & c'est vous qu'il me faut.
Je ne poursuis pas là de chimère impossible ;
Non, non ! mais seulement, si vous êtes sensible
Au sentiment profond, pur, fidèle & sacré,
Que j'ai conçu pour vous & que je garderai,
Et si nous triomphons de ce qui nous sépare,
Le rêve, chère enfant, où mon esprit s'égare,
C'est d'avoir à toujours chérir & protéger
Vous comme vous voilà, vous sans y rien changer.
Je vous sais le coeur bon, vous n'êtes point coquette ;
Mais je ne voudrais pas que vous fussiez parfaite,
Et le chagrin qu'un jour vous me pourrez donner,
J'y tiens pour la douceur de vous le pardonner.
Je veux joindre, si j'ai le bonheur que j'espère,
A l'ardeur de l'amant l'indulgence du père
Et devenir plus doux quand vous me ferez mal.
Voyez, je ne mets pas en vous «un idéal,»
Et de l'humanité je connais la faiblesse ;
Mais je vous crois assez de coeur & de noblesse ;
Pour espérer que, grâce à mon effort constant,
Vous m'aimerez un peu, moi qui vous aime tant !
EN AUTOMNE.
Quand de la divine enfant de Norvége,
Tout tremblant d'amour, j'osai m'approcher,
Il tombait alors des flocons de neige.
Comme un martinet revole au clocher,
Quand je la revis, plein d'ardeurs plus fortes,
Il tombait alors des fleurs de pêcher.
Ah ! je te maudis, exil qui l'emportes
Et me veux du coeur l'espoir arracher !
Il ne tombe plus que des feuilles mortes.
ÉPITAPHE.
Dans le faubourg qui monte au cimetière,
Passant rêveur, j'ai souvent observé
Les croix de bois & les tombeaux de pierre
Attendant là qu'un nom y fût gravé.
Tu m'es ravie, enfant, & la nuit tombe
Dans ma pauvre âme où l'espoir s'amoindrit,
Mais sur mon coeur, comme sur une tombe,
C'est pour toujours que ton nom est écrit.
L'ÉCHO.
J'ai crié dans la solitude :
- Mon chagrin sera-t-il moins rude,
Un jour, quand je dirai son nom ?
Et l'écho m'a répondu : - Non.
- Comment vivrai-je, en la détresse
Qui m'enveloppe & qui m'oppresse,
Comme fait au mort son linceul ?
Et l'écho m'a répondu : - Seul !
- Grâce ! le sort est trop sévère !
Mon coeur se révolte ! Que faire
Pour en étouffer les rumeurs ?
Et l'écho m'a répondu : - Meurs !
LIED.
Rougissante & tête baissée,
Je la vois me sourire encor.
- Pour le doigt de ma fiancée
Qu'on me fasse un bel anneau d'or.
Elle part, mais bonne & fidèle ;
Je vais l'attendre en m'affligeant.
- Pour garder ce qui me vient d'elle
Qu'on me fasse un coffret d'argent.
J'ai sur le coeur un poids énorme ;
L'exil est trop dur & trop long.
- Pour que je me repose & dorme,
Qu'on me fasse un cercueil de plomb.
LES TROIS OISEAUX.
J'ai dit au ramier : - Pars & va quand même,
Au delà des champs d'avoine & de foin,
Me chercher la fleur qui fera qu'on m'aime.
Le ramier m'a dit : - C'est trop loin !
Et j'ai dit à l'aigle : - Aide-moi, j'y compte,
Et, si c'est le feu du ciel qu'il me faut,
Pour l'aller ravir prends ton vol & monte.
Et l'aigle m'a dit : - C'est trop haut !
Et j'ai dit enfin au vautour : - Dévore
Ce coeur trop plein d'elle & prends-en ta part.
Laisse ce qui peut être intact encore.
Le vautour m'a dit : - C'est trop tard !
PURGATOIRE.
J'ai fait ce rêve. J'étais mort.
Une voix dit : - Ton âme impie,
En un très-misérable fort,
Va revivre afin qu'elle expie.
Dans le bois qu'octobre jaunit
Et que le vent du nord flagelle,
Deviens le passereau sans nid.
- Merci. Je vais voler vers elle.
- Non ! sois plutôt l'arbre isolé
Et, dans l'ouragan qui s'irrite,
Tords ton feuillage échevelé,
- Soit. Il se peut que je l'abrite.
- Alors, coeur plein d'amour humain,
Sois le caillou que broie & roule
Le chariot sur un grand chemin.
- Qu'importe ? si son pied me foule.
- Insensé, dit enfin la voix
Qui gronda pour cet anathème,
Sois donc homme encore une fois,
Et revis, mais sans qu'elle t'aime !
ÉTOILES FILANTES.
Dans les nuits d'automne, errant par la ville,
Je regarde au ciel avec mon désir,
Car si, dans le temps qu'une étoile file,
On forme un souhait, il doit s'accomplir.
Enfant, mes souhaits sont toujours les mêmes.
Quand un astre tombe, alors, plein d'émoi,
Je fais de grands voeux afin que tu m'aimes
Et qu'en ton exil tu penses à moi.
A cette chimère, hélas ! je veux croire,
N'ayant que cela pour me consoler.
Mais voici l'hiver, la nuit devient noire,
Et je ne vois plus d'étoiles filer.
OBSTINATION.
Vous aurez beau faire & beau dire.
L'oubli me serait odieux ;
Et je vois toujours son sourire
Des adieux.
Vous aurez beau dire & beau faire,
Sans espoir je dois la chérir ;
J'en souffre bien, mais je préfère
En souffrir.
Vous aurez beau faire & beau dire.
Dût-elle même l'ignorer,
Je veux, fidèle à mon martyre,
La pleurer.
Vous aurez beau dire & beau faire.
Seule, elle peut mon mal guérir,
Et j'aime mieux, s'il persévère,
En mourir.
SERMENT.
O poëte trop prompt à te laisser charmer,
Si cette douce enfant devait t'être ravie
Et si ce coeur en qui tout le tien se confie
Ne pouvait pas pour toi frémir & s'animer ?
N'importe ! ses yeux seuls ont su faire germer
Dans mon âme si lasse & de tout assouvie
L'amour qui rajeunit, console & purifie,
Et je devrais encor la bénir & l'aimer.
Heureux ou malheureux, je lui serai fidèle ;
J'aimerai ma douleur, puisqu'elle viendra d'elle
Qui chassa de mon sein la honte & le remord.
Vierge dont les regards me tiennent sous leurs charmes,
Si tu me fais pleurer, je bénirai mes larmes,
Si tu me fais mourir, je bénirai la mort !
ORGUEIL D'AIMER.
Hélas ! la chimère s'envole
Et l'espoir ne m'est plus permis ;
Mais je défends qu'on me console.
Ne me plaignez pas, mes amis.
J'aime ma peine intérieure
Et l'accepte d'un coeur soumis.
Ma part est encor la meilleure
Puisque mon amour m'est resté ;
Ne me plaignez pas si j'en pleure.
A votre lampe, aux soirs d'été,
Les papillons couleur de soufre
Meurent pour avoir palpité.
Ainsi mon amour, comme un gouffre,
M'entraîne & je vais m'engloutir ;
Ne me plaignez pas si j'en souffre.
Car je ne puis me repentir,
Et dans la torture subie
J'ai la volupté du martyr ;
Et s'il faut y laisser ma vie,
Ce sera sans lâches clameurs.
J'aime ! j'aime & veux qu'on m'envie !
Ne me plaignez pas si j'en meurs.
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1 comment:
Πολύ σαβούρα, αδερφάκι μου...Κανείς δεν τον διαβάζει πιά.Δικαίως.
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