Monday, December 18, 2017

GEORGES SCHEHADÉ





QUELQUES POÈMES

Sous le soleil violet du temps passé
Dans le voyage des feuilles mortes
Il était une fois un jardin sans fleurs
Personne n'y venait
Ni l'écho ni les âmes
À part quelques chasseurs fatigués par leur âge
Qui traversaient par là

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Avant le sommeil
Les soeurs de ma mère parlaient si bas
Que tout devenait de l'ombre
Les visages et les voix
Jusqu'à l'horloge dans sa cage
Qui n'avait plus de chant
Une allumette alors brillait
Et l'on pouvait entrevoir mes tantes agenouillés
Dans une goutte d'or

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Dans le sommeil quelquefois
Des graines éveillent des ombres
Il vient des enfants avec leurs mondes
Légers comme des ossements de fleurs
Alors dans un pays lointain si proche par le chagrin de l'âme
Pour rejoindre le pavot des paupières innocentes
Les corps de la nuit deviennent la mer

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Pour retrouver le corps et l'âme de l'enfance
Dans une chambre douce allumée de voleurs
Mes mains sont légères lorsque je pense

Un âne venait de la patrie des tableaux
Les bruits alors n'avaient pas de mémoire

C'est ainsi que sont les objets de la grâce
L'oiseau de sucre avec sa romance et le ciel bleu de rien

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Quand tout dormait à la maison fidèle
Et les armoires aux vieillesses de raisins
Il traînait une feuille d'ombre sur le sol des portes
Ma mère heureuse de se baisser
Belle comme des milliers de matins

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Ma mère allumait les lampes pour éloigner les ombres de nous
Elle comptait notre âge sur les doigts quand l'horloge frappait ses coups
Ma mère parlait du temps qui passe en souriant
- Et les hommes qui la suivaient étaient ses anges

Maintenant que la lune est morte
Où êtes-vous merveilleuses pensées
Amours aux dents de dragées
Enfance qui pleurez sur mes joues

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Comme un enfant d'autrefois dont le cri se perd
Dans un verger de pommes blanches
Quand la lune couvre tout de son amour
Je revois dans un miroir désert
Mes souvenirs avec des cannes blanches
Et je ne sais pas qui d'eux ou bien de moi
Est le plus à plaindre
Tellement les années sont cruelles

Lune légère ô miroir d'absence

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Quand les yeux se perdent dans le sommeil
Comme au fond d'un puits les visages
Il vient un songe avec ses paysages
Sur le dormeur de la nuit
Et c'est dans un ciel noir fuyant des étoiles
Une fenêtre à l'aurore
Avec une tête penchée de femme
Et qui demeure dans le songe d'une énigme

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Chaque fenêtre avait le ciel d'une prairie
Dans cette maison oubliée
Il y avait aussi les oiseaux qui apportaient les nouvelles
Et dans les rêves un enfant qui racontait sa vie
Amour
Où sont les nuits de l'hiver
La lampe douce dans sa robe de verre
Et l'horloge qui sonne et appelle
Un enfant seulement endormi

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Sur une montagne
Où les troupeaux parlent avec le froid
Comme Dieu le fit
Où le soleil est à son origine
Il y a des granges pleines de douceur
Pour l'homme qui marche dans sa paix
Je rêve à ce pays où l'angoisse
Est un peu d'air
Où les sommeils tombent dans le puits
Je rêve et je suis ici
Contre un mur de violettes et cette femme
Dont le genou écarté est une peine infinie

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Il y a des jardins qui n'ont plus de pays
Et qui sont seuls avec l'eau
Des colombes les traversent bleues et sans nids

Mais la lune est un cristal de bonheur
Et l'enfant se souvient d'un grand désordre clair

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Les arbres qui ne voyagent que par leur bruit
Quand le silence est beau de mille oiseaux ensemble
Sont les compagnons vermeils de la vie
Ô poussière savoureuse des hommes

Les saisons passent mais peuvent les revoir
Suivre le soleil à la limite des distances
Puis - comme les anges qui touchent la pierre
Abandonnés aux terres du soir

Et ceux-là qui rêvent sous leurs feuillages
Quand l'oiseau est mûr et laisse ses rayons
Comprendront à cause des grands nuages
Plusieurs fois la mort et plusieurs fois la mer

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Ils ne savent pas qu'ils ne vont plus revoir
Les vergers d'exil et les plages familières
Les étoiles qui voyagent avec des jambes de sel
Quand la nuit est triste de plusieurs beautés

Ils oublient qu'ils ne vont plus entendre
Le vent de la grille et le chien des images
L'eau qui dort sur la couleur des pierres
La nuit avec des violons de pluie

Tant de magie pour rien
Si ce n'était ce souvenir d'un autre monde
Avec des oiseaux de chair dans la prairie
Avec des montagnes comme des granges
Ô mon enfance Ô ma folie

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Nous reviendrons corps de cendre ou rosiers
Avec l'oeil cet animal charmant
Ô colombe
Près des puits de bronze où de lointains
Soleils sont couchés

Puis nous reprendrons notre courbe et nos pas
Sous les fontaines sans eau de la lune
Ô colombe
Là où les grandes solitudes mangent la pierre

Les nuits et les jours perdent leurs ombres par milliers
Le Temps est innocent des choses
Ô colombe
Tout passe comme si j'étais l'oiseau immobile

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De l'automne jauni qui tremble dans le bois dételé
Il demeure une étrange mélancolie
Comme ces chaînes qui ne sont ni pour le corps ni pour l'âme

Ô saison les puits n'ont pas encore déserté votre grâce
Ce soir nous avançons dans vos feuilles qui passent
Près d'une cascade de triste folie

Et voici dans un nuage de grande transparence
L'étoile comme une étincelle de faim

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Comme ces Madones qui vont à l'abreuvoir
Avec les feuilles vertes de la folie
Et dépassent les champs de leur pays
Pour conserver l'eau précieuse du soir
Ceux-là qui m'ont prévenu
Du calme et de l'impatience de la terre
Dorment entre le jour et la nuit
Aux jardins des Ecritures

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Nous irons un jour enfants de la terre
Avec nos mouchoirs vermeils
Envoler l'oiseau des mains de la pierre
Aux pays de l'ombre cette brouette triste

Dans une vallée de roses réduite mais violente
À travers les adieux du soleil
Nous verrons la nuit et le jour se défendre
Puis la lune comme une plaine sur la mer

Ainsi nous allons à la découverte du ciel
- Avec l'ombre cette brouette triste
Multipliant nos fagots dans la vie froide des nuages
Comme ceux qui dorment dans la terre éternelle

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Si je dois rencontrer les Aïeux
À l'extrêmité d'une terre d'élégie
Là où se perd la parole des puits
Et le vieil élevage des lunes
La nuit fera une seule gerbe de nos ombres

Je rejoindrai l'aiguille et les songes
Et la main de leurs habits
- Allongés dans leurs têtes légères
Sous un arbre imaginé par la vie

Si je dois rencontrer les Aïeux
À l'extrémité d'une terre d'élégie
Menant un enfant de grand sommeil
Au bord des fleuves sans terres

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Dans une campagne où le soleil meurt
Comme un cheval boit
L'herbe et le temps ont la même peine
Un violon chasse des ombres de sa main
Rappelle-toi les étangs de la mer lointaine
Quand tu dormiras dans la terre des enfants

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Dans la cage d'un oiseau il y a un jardin de tristesse
Et toute la mélancolie d'une maison

Les ailes sont des feuilles vertes
Dans le jour frugal et cassé
Comme des miettes

Je me souviens pauvre écolier
À la fenêtre

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Elle marchait dans un verger
De douces syllabes tombaient des arbres
L'air n'avait plus de couleur

C'est la naissance du soir
La première fraîcheur des nids
Rêvait un peu la jeune fille
En regardant autour d'elle

Maintenant la nuit se répète à l'infini
Les arbres se cachent dans leurs feuilles
Et le silence arrive de loin

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Sous la lumière muette des étoiles
Une source au loin parlait d'amour
À l'oiseau qui rentrait
C'était dans un verger à l'heure du soir
Le poids des pommes fondait dans l'ombre

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